Si la création d'emplois et l'augmentation de fréquentation du Centre Ville de Tournus sont des arguments positifs incontestables en faveur de l'installation de ce centre de marques, il ne faut pas négliger les nombreux inconvénients qui dépassent très largement le cadre de la seule ville de Tournus et même celui du seul Tournugeois.
Malgré l'accroissement de la consommation généré par l'augmentation de l'offre commerciale, la création de ce centre entraînera baisse d'activité et suppressions d'emplois dans le commerce traditionnel des mêmes secteurs de l'habillement - équipement de la personne et de l'équipement de la maison. Et, s'il s'agit réellement de marques de haut de gamme, ce sont les grandes villes hors du Tournugeois qui en pâtiront le plus.
C'est pourquoi, conscients de cela, des responsables politiques (les maires des grandes villes voisines) et économiques (les Chambres de Commerce et d'Industrie dont celle de Mâcon-Charolles-Tournus) se sont clairement positionnés contre l'implantation de ce centre comme il l'avaient fait lors d'un projet similaire dans l'Ain et se sont engagés à refuser cette implantation sur leur propre territoire.
Les partisans du projet ne sont pas moins conscients de ses effets négatifs puisqu'ils déclarent qu'il serait catastrophique pour Tournus que ce centre s'installe ailleurs !
Le Secrétaire d'Etat au commerce en fonction début 2002, François Patriat (socialiste), n'était pas favorable à ce type de commerce. L'un de ses prédécesseurs à ce poste, Jean-Pierre Raffarin (Premier Ministre de mai 2002 à début 2005, ex Démocratie Libérale devenu UMP), avait renforcé les pouvoirs des Commissions Départementales d'Equipement Commercial vis à vis des créations de grandes surfaces commerciales.
Ce n'est pas pour rien que le débat transcende les traditionnels clivages politiques Gauche - Droite.
La multiplication des centres de magasins d'usine, fussent-ils rebaptisés centres de marques, ne risque-t-elle pas de remettre en cause à moyen terme l'existence même des commerces classiques et l'aménagement du territoire ?
A force de vendre au rabais des articles de la saison précédente, les industriels pourront-ils encore longtemps vendre leurs nouveautés au prix fort ?
D'ores et déjà, on peut s'interroger sur la réalité du caractère de solde des articles vendus dans ces magasins. S'il s'agissait d'articles spécialement fabriqués ou d'articles d'importation, il y aurait détournement de la loi et concurrence déloyale mais aussi risque de saturation du marché qui finirait par se retourner contre les industriels eux-mêmes.
On peut aussi se demander comment des industriels avisés peuvent produire une telle quantité d'articles invendus qu'il leur faille recourir à tant de centres de marques pour écouler leur surproduction.
L'augmentation de la consommation a ses limites : le pouvoir d'achat des citoyens n'est pas extensible et l'achat d'équipements superflus est, lui aussi, forcément limité. Aussi, les achats réalisés à Tournus ne l'étant plus ailleurs, sans entrer dans le débat sur le nombre d'emplois créés par m² de surface commerciale entre commerce classique et grandes surfaces, on comprend aisément que, du fait des économies d'échelle réalisées par ce type de commerce, il y aura au moins autant d'emplois détruits hors de Tournus que d'emplois créés à Tournus.
Forts de ce constat, des élus locaux ont-ils le droit d'être assez cyniques pour rechercher la création d'emplois chez eux au mépris des destructions générées ailleurs ?
Au début des années 2000, à l'heure de la mise en route de l'intercommunalité (communauté de communes, réseau de villes, réseau des apothicaireries... ) à Tournus, de la globalisation et du "Agir local, penser global", cela méritait réflexion.
Au milieu des années 2010, avec le renforcement des intercommunalités, n'est-il pas de plus en plus nécessaire de penser et de jouer collectif ?
Si le projet a désormais peu de chances de resurgir et d'aboutir, il reste nécessaire d'avoir une vision globale lors de toute prise de décision politique, en particulier lorsqu'il s'agit d'économie.
L'augmentation de la fréquentation du centre-ville serait passée par l'installation d'une annexe de l'Office de Tourisme dans le centre de marques, l'emploi d'hôtesses chargées d'inciter les visiteurs de ce centre à visiter aussi la ville, la création d'une navette gratuite entre le centre de marques et le centre de Tournus et d'autres solutions innovantes.
Avant de chercher à savoir qui en aurait assumé le coût, on pouvait s'interroger et sur le bien-fondé de l'implantation de ce centre et sur le choix de son emplacement alors qu'une implantation envisageable beaucoup plus près du centre-ville aurait été rejetée par le promoteur au motif d'un manque de visibilité depuis l'autoroute.
Malheureusement, le lieu d'implantation retenu au nord du péage autoroutier aurait davantage incité les automobilistes à reprendre l'autoroute sitôt sortis du centre de marques qu'à poursuivre leur chemin vers le centre-ville.
"Heureusement !", pourrait-on dire car il était prévu d'attirer 1 million de visiteurs par an au centre de marques dont 10 % environ seraient venus en centre-ville. Une ville de 6 000 habitants peut-elle supporter un tel afflux sans que la qualité de vie de ses habitants en souffre ? Alors que la France, et plus particulièrement l'axe Paris - Lyon - Marseille, souffre déjà d'un excès de circulation automobile dont on connaît les conséquences dramatiques sur la santé publique, ce projet ne pouvait qu'accentuer le phénomène puisqu'il ne visait pas la seule clientèle des Tournusiens mais une zone de chalandise de 150 km autour de Tournus !
Le 24 février 2002, avant de voter, bien au-delà de la question posée sur l'attribution d'un permis de construire, les Tournusiens devaient donc s'interroger sur toutes les conséquences de cette implantation, tant pour eux que pour leurs concitoyens. Question bien délicate pour qui recherchait vraiment l'intérêt général.
Qu'on se rassure cependant, le maire avait rappelé aux Tournusiens qu'il n'était nullement obligé de tenir compte d'un éventuel avis négatif de sa population : quelque soit le résultat du référendum, il voterait donc pour le projet lorsqu'il serait appelé à siéger en CDEC et ferait appel d'une décision négative de la Commission Départementale... A l'inverse, les opposants auraient fait eux aussi appel en cas de décision positive de la Commission.