Vers l'interdiction des logiciels libres ?

Le projet de loi relatif au Droit d'Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l'Information dit "DADVSI" devait être voté selon la procédure d'urgence par l'Assemblée Nationale française, de nuit, fin décembre 2005. Il y avait effectivement urgence à adopter un texte qui transpose en droit français la directive européenne 2001/29 du 22 mai 2001, version consolidée dite "EUCD"... d'autant plus que ce projet pouvait permettre à ses inspirateurs de rendre enfin illégaux en France les logiciels libres ! Autre motif d'urgence, la France devait transposer la directive européenne dans son droit national avant le 31 décembre 2002 sous peine de sanctions pécunières.

Petit rappel sur la procédure d'urgence parlementaire : un texte de loi est adopté suite à une seule lecture par l'Assemblée et par le Sénat au lieu des habituelles navettes parlementaires qui permettent aux deux organes législatifs de se mettre d'accord sur un texte commun.

Tout d'abord incrédule, j'ai lu rapidement le texte qui m'est d'abord effectivement apparu quelque peu liberticide mais sans trop d'impact sur les logiciels libres. Puis, éclairé par d'autres analystes, j'ai dû me rendre à l'évidence : ce texte et certains de ses amendements, s'ils étaient adoptés en l'état par les députés auraient pu conduire à l'illégalité des logiciels libres en France (alors que la directive EUCD ne va pas aussi loin). En théorie, le projet de loi visait essentiellement les logiciels P2P qui permettent d'échanger des morceaux de musique et les logiciels qui permettent de dupliquer musique ou vidéo. En pratique, dans sa version initiale et avec certains amendements, il risquait d'autoriser de nombreuses dérives entravant ou interdisant le développement des logiciels libres.

Un logiciel est dit libre lorsque ses utilisateurs peuvent librement accéder au code source du logiciel afin de comprendre ce qu'il fait réellement de leurs données personnelles ou de l'adapter à leurs besoins. Un tel logiciel ne peut donc pas comporter de "mesures techniques de protection" telles que décrites dans le projet de loi DADVSI ou la directive EUCD : s'il comportait de telles mesures, leur code source devrait aussi être accessible par tous pour respecter le principe du libre ce qui le mettrait aussitôt en infraction avec la loi. Son utilisation, sa diffusion, sa promotion seraient donc illicites au regard de la loi.

Depuis l'adoption de la loi, la question se pose donc de savoir si le logiciel libre VLC reste légal pour écouter votre musique ou visionner vos vidéos puisque ce logiciel libre ne devrait pas pouvoir comporter de moyen de contrôle de vos droits d'accès aux fichiers présents sur votre disque dur ou sur vos CD et DVD.

Le projet de loi n'a pas pu être adopté par l'Assemblée Nationale en décembre 2005 car le gouvernement s'est opposé à un amendement voté par les députés : cet amendement aurait permis le téléchargement quasi illimité de morceaux de musique ou de films en contrepartie du paiement d'une licence globale par l'internaute... Solution inacceptable pour le gouvernement et pour les majors de l'industrie phonographique et cinématographique !
Le vote de l'Asemblée n'est donc intervenu qu'au printemps 2006 sur un texte revu par le gouvernement et celui du Sénat en mai ou juin 2006. Le 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel a rendu un avis (décision 2006-540 DC) qui remet en cause certains articles du texte de loi, en particulier ceux garantissant l'interopérabilité c'est à dire la possibilité de lire un fichier sur différentes machines (c'est grâce aux principes d'interopérabilité que les pages web conformes aux standards peuvent être lues par n'importe quel navigateur, avec n'importe quel système d'exploitation, sur n'importe quel type de machine).

Sous réserve de la future jurisprudence, contrairement à ce que l'on a longtemps craint, la copie privée que vous pouviez jusqu'ici réaliser légalement, par exemple à partir de vos CD pour graver votre propre compilation ou pour les écouter sur votre baladeur MP3, resterait licite ce qui semble logique puisque vous payez une taxe sur les CD et DVD vierges pour rémunérer les auteurs !
Par contre, il semblerait que vous n'ayez déjà pas vraiment le droit de copier vos vieux disques vinyle pour continuer à les écouter alors que votre vieille platine 33 tours a rendu l'âme depuis un moment et que cette interdiction s'appliquera par conséquent à la copie de vos CD lorsque ce type de support sera devenu techniquement obsolète. Si vous le faites, il vous appartiendra de prouver le cas échéant que c'est bien pour votre usage exclusivement privé et non pour une utilisation commerciale.

Si, physiquement, rien ne vous empêchera de continuer à utiliser vos logiciels favoris pour lire vos CD et DVD actuels, et surtout à pratiquer le P2P, les sanctions potentielles font frémir : jusqu'à trois ans de prison et 300 000 € d'amende ! En fait, ces lourdes sanctions ne vous concerneraient pas en tant qu'utilisateur d'un logiciel P2P et ne s'appliqueraient qu'aux auteurs, distributeurs ou promoteurs de logiciels destinés à contourner les mesures techniques de protection... du moins si vous vous contentez d'échanger des fichiers non soumis par leur auteur ou leur éditeur à des mesures techniques de protection. Pour le reste : prudence !

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